Quand le Conseil présidentiel haïtien se proclame intouchable : une transition fragilisée

Mis à jour le 12 décembre 2024 à 16h54

La situation au sein du Conseil présidentiel de transition (CPT) en Haïti s’enlise dans une controverse juridique et politique, marquée par l’implication de trois de ses membres – Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin – sous le statut d’« inculpés ». Alors que des mandats de comparution ont été émis à leur encontre, ces conseillers invoquent leur prétendu statut de « président de la République » pour échapper aux convocations judiciaires, alimentant un débat intense sur l’interprétation de la Constitution et sur l’avenir de la transition politique en Haïti.

Une solidarité controversée au sein du CPT

Malgré les pressions exercées par la communauté nationale et internationale pour clarifier leur position, le Conseil présidentiel de transition reste officiellement silencieux sur le statut judiciaire de ses membres. Les six autres conseillers, non inculpés, cohabitent sans heurts apparents avec leurs collègues controversés, affichant une solidarité jugée par certains comme compromettante pour l’intégrité de l’institution. Cette posture collective alimente les critiques à l’égard d’une gouvernance déjà fragilisée par des tensions internes et des défis multiples.

Des recours juridiques pour contrer la justice

Au cœur de la polémique se trouvent les arguments juridiques avancés par les trois conseillers pour justifier leur refus de comparaître devant le tribunal de première instance de Port-au-Prince.

Louis Gérald Gilles : la stratégie de récusation

Louis Gérald Gilles a choisi une approche frontale en récusant tous les cabinets d’instruction du tribunal. Il met en avant une « suspicion légitime » à l’encontre du juge Benjamin Félismé, chargé de l’instruire. Dans une déclaration provocante, il affirme qu’en tant que « président de la République », il ne peut être jugé que par la Haute Cour de justice, conformément à l’article 185 de la Constitution de 1987 amendée. Cette interprétation soulève des questions, car son statut de « président » n’est ni reconnu par la Constitution ni validé par un quelconque mécanisme institutionnel.

Emmanuel Vertilaire : une défense plus nuancée

Emmanuel Vertilaire, quant à lui, adopte une position plus mesurée. Dans une note publique, il annonce avoir contesté la compétence du juge d’instruction et porté l’affaire devant la Cour d’appel, s’appuyant sur divers articles de la Constitution et du code pénal. Il se présente comme respectueux des institutions judiciaires, bien qu’il maintienne fermement sa revendication de privilège juridictionnel. Cette démarche vise à déplacer le débat juridique vers des sphères plus élevées, tout en limitant les confrontations directes avec le juge d’instruction.

Smith Augustin : la réponse musclée

De son côté, Smith Augustin adopte une posture encore plus offensive. À travers ses avocats, il accuse le juge d’avoir violé la loi en le convoquant sans l’autorisation préalable du CPT. Les avocats de Smith Augustin vont jusqu’à dicter au magistrat la manière de procéder dans cette affaire, exigeant une reconnaissance formelle de son « privilège de juridiction ». Cette attitude intransigeante risque de cristalliser davantage les tensions entre le Conseil et le système judiciaire.

Un affrontement aux implications multiples

Le refus des conseillers de se soumettre à la justice met en lumière une série de problématiques complexes. D’une part, il illustre la confusion institutionnelle qui entoure les pouvoirs et les responsabilités du Conseil présidentiel de transition. D’autre part, il pose la question de l’impartialité et de l’autorité du système judiciaire dans un contexte politique extrêmement polarisé.

En s’abritant derrière des articles constitutionnels souvent interprétés de manière opportuniste, les conseillers inculpés cherchent à consolider leur position, mais au prix d’une érosion de la crédibilité de l’institution qu’ils représentent. Cette stratégie suscite des réactions mitigées, certains y voyant une manœuvre légitime dans un système juridique imparfait, d’autres une tentative flagrante de se soustraire à la justice.

La réponse attendue du système judiciaire

Le juge Benjamin Félismé a menacé d’émettre des mandats d’amener si les conseillers ne répondaient pas à leur convocation. Jusqu’à présent, aucune nouvelle mesure coercitive n’a été annoncée, laissant planer une incertitude sur la suite de l’affaire. L’absence de décision ferme de la part du tribunal pourrait renforcer la perception d’un système judiciaire impuissant face aux élites politiques.

Les conséquences pour la transition politique

Au-delà des enjeux judiciaires, cette affaire fragilise davantage une transition politique déjà sous tension. La communauté internationale, qui soutient le processus de transition, pourrait revoir son appui si le CPT est perçu comme incapable de se conformer aux principes de transparence et de responsabilité. Sur le plan national, l’affaire risque d’alimenter le scepticisme populaire à l’égard des institutions politiques, aggravant une crise de confiance déjà profonde.

Un futur incertain

L’impasse actuelle reflète les dilemmes institutionnels et politiques auxquels Haïti est confrontée dans sa quête de stabilité et de réforme. Si le Conseil présidentiel de transition ne parvient pas à résoudre cette crise interne, il pourrait compromettre non seulement sa légitimité, mais aussi l’ensemble du processus de transition. Pour l’instant, les regards restent tournés vers le système judiciaire et les acteurs internationaux, dans l’espoir d’une résolution qui respecte les principes d’État de droit et les aspirations démocratiques du peuple haïtien.

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